Bien qu’ils soient mentionnés dans les documents à vocation opérationnelle, les enjeux à considérer dans le contexte des risques littoraux, et les méthodologies à mettre en œuvre pour les inventorier et en caractériser la vulnérabilité, restent succinctement décrits dans les textes officiels.
Des enjeux peu décrits dans les
textes officiels
Le guide méthodologique sur les PPRL publié par le MEDDE en 2014 indique qu’il faut « lister et quantifier les enjeux présents sur l’ensemble des communes » afin de « comprendre l’organisation et le fonctionnement du territoire,… faire ressortir les différents points de vulnérabilité du territoire ». « Elle conduit à distinguer les zones non urbanisées, les espaces urbanisés et les centres urbains», et doit s’achever par « la réalisation d’une représentation cartographique des enjeux ». Le croisement de cette cartographie avec celle des aléas permet de déterminer un coefficient d’exposition des enjeux présents par commune.
Une typologie des enjeux est ensuite proposée, directement inspirée de la Directive européenne« inondation » (n° 2007/60/CE du 23 octobre 2007). Trois catégories doivent être distinguées :
- les enjeux incontournables incluent les espaces urbanisés, les espaces spécifiques comme les zones d’activités portuaires et balnéaires, les campings, les activités agricoles, et les espaces participant à la propagation des aléas ;
- les enjeux complémentaires intègrent les projets d’aménagement futurs, les infrastructures et équipements particulièrement sensibles (installations ou établissements classés, réseaux essentiels), les établissements recevant du public (ERP) et les enjeux patrimoniaux, culturels et environnementaux. Une typologie du bâti est également évoquée, mais avec peu de précision (habitations de plain-pied et population y résidant) ;
- enfin, les autres éléments de contexte intègrent pêle-mêle : les enjeux stratégiques pour la gestion de crise (PC crise, centre de secours et d’hébergement d’urgence, terminaux téléphoniques et centrales électriques), la vulnérabilité des réseaux et les effets de leurs dysfonctionnements, les procédures réglementaires existantes ou à venir, de même que les perspectives démographiques, socio-économiques, ou territoriales.
Malgré ces indications sur les types d’enjeux à considérer, aucune précision n’est fournie sur les données permettant de les décrire, ni sur les méthodes à employer pour en analyser la vulnérabilité. Ce rapport se focalise en fait essentiellement sur les aléas et reste en cela conforme à la circulaire du 27 juillet 2011 relative à la prise en compte du risque de submersion marine dans les PPRL.
Les enjeux à considérer dans une
perspective opérationnelle
Trois types de documents liés à une approche opérationnelle des risques côtiers peuvent être distingués :
- les guides ou cahiers des charges (indicateurs du MEDDTL, MIAT) documents par nature théoriques et visant une certaine exhaustivité, comme de fait les documents de cadrage d’échelle régionale (EAIP)
- les documents à vocation opérationnelle (PCS, EPRI) qui ciblent davantage les capacités d’intervention et les éléments stratégiques ou présentant un risque particulier
- enfin, les documents à vocation d’évaluation (ACB) que ce soit à des fins préventives ou de dédommagement qui détaillent fortement les descripteurs de certains enjeux (bâtis, économiques ou naturels).
Ces documents fournissent généralement une liste indicative des enjeux à prendre en compte (PNACC), mais rarement leur typologie complète et plus rarement encore une description des méthodes à mettre en œuvre pour les analyser. La synthèse de leurs contenus montre la variété des enjeux pouvant être décrits pour être intégrés dans les dispositifs et documents opérationnels.
Les huit catégories d'enjeux
Bien qu’elles ne soient pas mentionnées dans tous les documents et que leur description aille de la simple mention (et localisation), jusqu’à une caractérisation détaillée, huit catégories d’enjeux peuvent être identifiées.
- Généralement évoqué l’enjeu humain fait l’objet de descriptions particulièrement hétérogènes, qui confondent souvent la population elle-même avec les activités économiques ou avec les infrastructures qu’elle utilise ou fréquente. Il est pourtant pertinent de les distinguer car la première est, par nature, plus mobile que les secondes. L’enjeu humain peut être simplement décrit par des chiffres de population, distinguant parfois population permanente et saisonnière. La vulnérabilité effective de la population est plus rarement évoquée, par exemple, par l’évaluation du nombre de personnes exposées au risque ou celle de leurs caractéristiques. Au niveau local, notamment pour les PCS, le document de référence (MIAT, 2005) recommande de recenser les personnes jugées les plus vulnérables et d’en établir l’annuaire.
- Le bâti est systématiquement mentionné, souvent seulement en tant que zone urbanisée dans une cartographie d’occupation du sol plus ou moins détaillée. Les bâtiments sont parfois comptabilisés, ou classés en fonction de leur forme ou de leur fonction, voire décrits par des variables visant à en évaluer la vulnérabilité ou la valeur immobilière.
- Généralement mentionnées aussi, les activités économiques peuvent être juste délimitées dans des zones d’activités (MIAL) ou des zones d’emplois (EPRI). Les activités qui constituent d’éventuels facteurs aggravants du risque (pollution ou contraintes d’intervention liées par exemple au stockage de produits dangereux) ou qui sont susceptibles d’être mobilisées pendant ou après la crise – par exemple lors des travaux de reconstruction (MEDDTL) – peuvent faire l’objet d’un intérêt particulier. Elles sont alors localisées individuellement par établissements, voire décrites avec plus ou moins de détail (nature de l’activité, nombre de salariés, facteurs de vulnérabilité, etc.). Parmi les activités économiques peut également figurer l’inventaire des terres agricoles et de leurs usages, notamment sous forme de cartes d’occupation du sol qui peuvent servir de base de calcul des préjudices.
- Certains établissements vulnérables sont mentionnés, en particulier ceux qui reçoivent du public (hôpitaux, écoles, maisons de retraite, hébergements touristiques, etc.). Ils peuvent alors faire l’objet d’un simple recensement ou de descriptions plus détaillées (capacité d’accueil, facteurs de vulnérabilité, etc.).
- Les réseaux les plus souvent pris en compte sont les voies de communication, en tant que structures essentielles à la gestion de crise, notamment pour l’acheminement des secours ou l’évacuation de la population. Figurent également dans cette rubrique les réseaux d’énergie, de télécommunication ou d’adduction d’eau et les équipements associés (terminaux téléphoniques, transformateurs électriques, zones de captage d’eau potable, postes de relèvement).
- Paradoxalement peu évoqués (MIAT, MEDDTL et Dreal Centre Bassin de Loire-Bretagne), les équipements stratégiques ont une fonction opérationnelle utile lors de la gestion de crise : service départemental d’incendie et de secours, gendarmerie, caserne militaire, préfecture (poste de commandement prévu au plan ORSEC), mairies (PC prévu au PCS), services techniques. Leur recensement intègre éventuellement des équipements situés hors des zones exposées au risque dans une perspective de planification de crise (hébergement d’urgence par exemple).
- Les éléments du patrimoine culturel (monuments historiques, sites archéologiques) peuvent être mentionnés, en prévision d’éventuelles mesures conservatoires dans le cadre des interventions pendant ou après la crise, ou en tant qu’objet d’une évaluation des dommages.
- Enfin, la prise en compte des milieux naturels repose le plus souvent sur les zonages et dispositifs de protection, d’inventaire et de réglementation qui s’y appliquent. Parfois, la cartographie des habitats est également proposée afin d’évaluer leur valeur patrimoniale comme base d’évaluation de leur endommagement (bien que les aléas considérés soient, somme toute, naturels et que donc l’endommagement d’enjeux naturels par des aléas naturels pose question) et surtout pour guider le choix des stratégies de prévention et d’intervention.
Ces enjeux identifiés, on peut s’interroger sur leur faible prise en compte à des fins opérationnelles, alors que de nombreux travaux scientifiques y sont consacrés (voir par exemple Mercier et Chadenas, 2012 ; Vinet et al., 2011). Ils fournissent des bases pertinentes pour l’évaluation de la vulnérabilité individuelle en s’appuyant sur l’analyse des circonstances des décès liés aux submersions. Portant sur les caractéristiques des individus (âge, mobilité, condition sociale notamment), mais également sur celles de leur résidence, voire sur leur comportement, ils permettent de délimiter des populations et des territoires présentant une vulnérabilité particulière au regard des risques côtiers. Ces études ont notamment permis d’identifier certaines caractéristiques (bâtiment de plain-pied, hauteur du premier niveau habitable, ouvertures de secours sur le toit, etc.) permettant d’évaluer la vulnérabilité des bâtiments, notamment résidentiels, comme facteurs de danger pour les individus y résidant. Certains travaux scientifiques vont jusqu’à exploiter les réseaux routiers afin de déterminer l’accessibilité ou la capacité d’évacuation de sites exposés à certains aléas. Enfin, de nombreux travaux peuvent être consultés en ce qui concerne l’évaluation économique des biens et des activités exposés aux risques.
Rester pragmatique
La prise en compte de tous les enjeux évoqués peut conduire à rechercher la construction de modèles complexes, visant à restituer, aussi bien que faire se peut, une réalité par nature encore plus complexe. Deux questions se posent alors : jusqu’à quel niveau d’exhaustivité recenser et décrire les enjeux susceptibles d’être affectés par un aléa ? Comment les hiérarchiser? On se trouve ici confronté au dilemme classique de la cartographie à vocation opérationnelle qui doit trouver un compromis acceptable entre la complexité des systèmes à considérer et le temps nécessaire à la collecte, au traitement et à la maintenance de larges volumes de données de sources et de nature hétérogènes. Comme indiqué dans certains documents de référence cités (MIAT, 2005), mais aussi dans la littérature scientifique, il est conseillé d’opter pour des solutions pragmatiques, seules à même de garantir la reproductibilité d’une méthode, la mise à jour régulière des données et des diagnostics qui en découlent, ainsi que la transparence de la méthodologie et par conséquent sa faisabilité opérationnelle et son acceptabilité sociale.