erosion des cotes par l'eau de mer et le vent, réduction des plages et proximité avec les habitations

Changements climatiques et dynamiques morphologiques des côtes : des risques à ne pas confondre

La dynamique des littoraux est une constante à toutes les échelles de temps et d’espace. Les falaises, par définition, n’évoluent qu’en reculant ; les côtes d’accumulation (plages, avant-plages, dunes, cordons et plages de galets, marais maritimes…) sont en perpétuel ajustement et peuvent connaître des alternances d’engraissement et d’amaigrissement.

Cette mobilité est d’abord liée aux conditions de mise en place des littoraux actuels qui s’établit sur le très long terme, celui des temps géologiques des dernières dizaines de milliers d’années. Cette mobilité est également dépendante de l’action des processus naturels, c’est-à-dire l’action conjuguée, parfois simultanée : des processus astronomiques (les marées), des processus marins, éoliens et continentaux commandés, à l’origine, par les conditions atmosphériques (le vent, l’humidité, les précipitations, les pressions, les températures) qui se modifient rapidement (de l’ordre de quelques heures), les processus gravitaires (c’est-à-dire, entraînant la chute de masses de sables, de cailloux ou de pans de parois). Ces processus agissent ponctuellement sur le temps court en fonction des conditions météorologiques. Leurs actions se cumulent néanmoins au cours du temps et définissent des tendances évolutives aux échelles décennale, séculaire et pluriséculaire. Par ailleurs, la période historique et contemporaine des tout derniers siècles doit être quelque peu distinguée des précédentes puisque la mobilité des littoraux relève en outre de plus en plus des actions anthropiques qui viennent interférer avec les dynamiques naturelles.

Trois échelles temporelles doivent donc être considérées qui permettent de mieux comprendre cette mobilité et l’évolution passée et contemporaine des côtes des régions océaniques tempérées (Hénaff et al., 2013) :

  • l’échelle des temps géologiques de la mise en place des côtes actuelles ;
  • l’échelle séculaire de l’évolution historique des traits de côte ;
  • l’échelle météorologique des événements tempétueux.

En matière de gestion des littoraux et des risques côtiers, ces trois échelles sont naturellement imbriquées. Elles ne peuvent être considérées indépendamment, au risque d’une confusion entre des évolutions locales et temporaires et des tendances évolutives affirmées sur le long terme, et généralisées, conduisant à opter alors pour des solutions de gestion inadaptées.

L’échelle des temps géologiques de la
mise en place des côtes actuelles

Les quantités et la nature des sédiments des accumulations littorales actuelles sont le résultat d’une histoire longue de plusieurs dizaines de milliers d’années et que l’on peut faire débuter durant la dernière période de refroidissement de la planète (glaciaire) et qui précède la période plus chaude actuelle (interglaciaire).

Cette période froide débute il y a environ 115 000 ans pour s’achever il y a 10 000 ans. Le niveau général des océans s’est abaissé du fait de la rétention d’importantes quantités d’eau sous forme de glace dans les inlandsis (appelés aussi calotte de glace) des hautes latitudes et les glaciers montagnards. Au maximum de cette période froide, il y a environ 20 000 ans, lorsque l’extension des calottes glaciaires de l’hémisphère nord est maximale, l’abaissement du niveau des mers est estimé à une centaine de mètres (-100 à -120 m) par rapport au niveau moyen actuel de la mer. De larges surfaces de plates-formes continentales sont alors émergées, comme c’est le cas particulier des rivages du nord-ouest de l’Europe. Aux latitudes tempérées actuelles, ces surfaces continentales sont alors soumises aux processus d’érosion actifs dans les régions périglaciaires où alternent saisonnièrement le gel et le dégel ainsi que des vents forts. Ces processus déterminent la formation et l’accumulation d’importantes quantités de matériels sédimentaires sur et au pied des versants, dans les vallées et les lits des cours d’eau. Durant cette longue période, d’importants stocks sédimentaires sont donc préparés. Ils sont, par la suite, partiellement mobilisés, repoussés et façonnés par la mer, lors de la transgression qui accompagne la fonte des inlandsis et par les vents dominants. Avec les apports sédimentaires des fleuves dont les débits et les régimes se modifient et les produits de l’érosion littorale qui nettoie les versants continentaux progressivement submergés par la transgression marine en cours, ces stocks constituent des sources volumineuses d’approvisionnement en sédiments des accumulations littorales qui se forment au fur et à mesure de l’élévation du niveau de l’océan global jusqu’à son niveau actuel.

Vers 10 000 ans avant nous, le processus de fourniture massive de sédiments se ralentit ; l’adoucissemnt du climat permet le développement de sols et d’une couverture végétale qui diminuent drastiquement la part de sédiments alimentant les littoraux. On considère par conséquent qu’actuellement les sédiments littoraux forment un stock hérité qui, dans les régions tempérées, ne se reconstitue plus ou de manière très insuffisante pour compenser les actions érosives des processus naturels et, le cas échéant, les actions anthropiques de prélèvements ou de blocage des transits. Nous sommes dans un contexte de pénurie sédimentaire.

L’échelle séculaire de l’évolution historique des
traits de côte

Depuis le début des mesures marégraphiques au XIXe siècle, la montée du niveau marin, de l’ordre de 1 à 2 mm par an, peut apparaître importante du point de vue de ses conséquences en termes de submersion potentielle de territoires de basse altitude. Elle se révèle néanmoins insuffisante en matière d’érosion des formes et formations côtières pour fournir en abondance des matériaux sédimentaires aux accumulations littorales. Les stocks sédimentaires étant essentiellement hérités des périodes anciennes, leur entretien par des apports nouveaux est actuellement insuffisant dans nombre de cas. Aussi les dynamiques de la mer (y compris son élévation contemporaine, de l’ordre de 3 mm/an) consistent-elles essentiellement en une redistribution constante des sédiments littoraux, transversalement entre les avant-plages, la zone intertidale et les formes dunaires supratidales lorsqu’elles existent, et latéralement le long de l’actuelle ligne de rivage.

Sur la période des derniers siècles, les localisations successives du trait de côte sont obtenues en cartographiant la ligne de rivage à partir de supports variés (cartes anciennes et actuelles, plans cadastraux, photographies aériennes, imagerie satellitaire) et à partir de levés topographiques réitérés sur le terrain sur différents pas de temps. Par comparaison de ces diverses sources, on parvient ainsi à quantifier plus ou moins précisément la mobilité d’un rivage, généralement depuis la fin du XVIIIe siècle en France, période à partir de laquelle sont utilisés des principes et des techniques de cartographie comparables à ceux qui ont cours actuellement. La comparaison de deux situations éloignées l’une de l’autre dans le temps permet de dégager la tendance au recul, à l’avancée ou à la stabilité d’une section de rivage et de déterminer une vitesse annuelle moyenne d’évolution. L’examen des situations intermédiaires demeure cependant nécessaire car il permet de cerner les étapes successives d’une évolution qui est rarement régulière et passe souvent par des phases d’accélération, de ralentissement, voire d’inversion de tendance. C’est seulement à partir de cet examen, à l’échelle de temps pluri-décennale, que peuvent être cernées les adaptations des littoraux d’accumulation aux évolutions des agents morphogènes (variations de l’intensité et de la fréquence des tempêtes, changements dans l’orientation des vents et des houles, modification de l’hydrologie continentale, etc.) et anthropiques. Les deux examens (tendances et situations intermédiaires) sont donc complémentaires car ils permettent de distinguer ce qui relève, d’une part, d’évolutions durables de ce qui, d’autre part, correspond à des réactions à des événements ponctuels, parfois exceptionnels ou transitoires, qu’ils soient naturels ou d’origine anthropique.

Enfin, aux phénomènes naturels s’ajoutent, aux cours de ces derniers siècles, les interventions anthropiques sur les milieux qui deviennent de plus en plus généralisées dorénavant. Ces actions anthropiques sont déterminées, d’une part, par la volonté ou la nécessité d’occuper un milieu littoral dont la mobilité permanente n’est pas adaptée à son usage par l’Homme et, d’autre part, par l’exploitation des ressources de ces milieux. En voulant contrecarrer la mobilité intrinsèque des côtes par des structures de défense et en exploitant les milieux par des extractions de matériaux sédimentaires, les actions humaines ont modifié les processus naturels et souvent déséquilibré les bilans sédimentaires. Ainsi, alors qu’aucun nouvel apport massif de sédiments aux côtes n’est prévisible au cours du siècle présent, les stocks hérités des périodes froides ont été entamés par nombre d’extractions littorales et sont encore menacés par la demande croissante de granulats marins recherchés pour la construction (notamment sur les communes littorales !). Un autre facteur aggravant l’érosion est la multiplication des structures de défense du front de mer qui induisent des effets d’amaigrissement des plages (Paskoff, 2004) et reportent, en les aggravant, les processus érosifs sur d’autres sections de côte (Pinot, 1998).

Les temps courts à moyens de
l'action des processus naturels

Les phénomènes météorologiques ainsi que les processus gravitaires agissent ponctuellement sur des temps parfois très courts. Leurs effets se cumulent néanmoins dans le temps et permettent de définir des conditions moyennes d’exposition des littoraux.

Les phénomènes météorologiques agissent sur des pas de temps très courts, de l’ordre de quelques heures pour des tempêtes et la génération de fortes houles sur les côtes, par exemple. Malgré leur faible durée, ce sont des phénomènes généralement actifs du point de vue des évolutions littorales, notamment lorsqu’ils se conjuguent entre eux. Les houles et les vents violents ainsi que les faibles pressions atmosphériques produites par une tempête génèrent des conditions propices à l’érosion importante des accumulations sédimentaires exposées, érosion d’autant plus importante si les tempêtes se produisent au moment d’une marée haute de vive-eau. Dans ces conditions, la mer peut atteindre sur les littoraux des hauts niveaux habituellement épargnés par ses actions. Ces surcotes peuvent ainsi élever le niveau de la mer de plusieurs dizaines de centimètres, voire plusieurs mètres dans le cas exceptionnels, au-dessus du niveau normalement atteint par les seules marées. Des surcotes de 1,60 m ont été mesurées à Brest au passage de l’ouragan du 16 octobre 1987 (cf. Réseaux de référence des observations marégraphiques (REFMAR ®)), de 0,78 m à Concarneau lors de la tempête Johanna du 10 mars 2008 (Cariolet, 2010), de 1,53 m à La Rochelle lors de la tempête Xynthia, de 3 m dans le sud-ouest des Pays-Bas lors de la tempête du 1er février 1953.

Dans cette dynamique météorologique, l’élévation millimétrique actuelle du niveau moyen de la mer (3 mm/an en moyenne) apparaît bien négligeable par rapport à la hauteur des surcotes de tempêtes. Le signal eustatique lié au changement climatique est alors masqué par ces événements ponctuels tempétueux dont les effets sur le niveau de l’eau sont de bien plus grande amplitude. Cependant, la remontée du niveau marin prévue à l’horizon 2100 ne peut être négligée, et, quelle qu’elle soit, elle rehaussera les niveaux d’eau ponctuels des événements tempétueux. Donc, le réchauffement climatique, et la remontée eustatique qui devrait logiquement en découler, est un paramètre qu’il est important de prendre en compte pour l’avenir, dans la mesure où il s’agit d’un facteur aggravant dans une situation déjà défavorable en raison de la pénurie sédimentaire.

Ce qui fait le plus débat, et n’aboutit pas pour l’instant à des résultats stabilisés, ce sont les effets, sur les tempêtes, du réchauffement climatique aux échelles régionales où de fortes disparités se font jour. Au regard de l’espace de l’Atlantique nord, il est imprudent de considérer que des événements isolés, comme la tempête Xynthia par exemple, puissent être symptomatiques d’une tendance, comme le réchauffement climatique actuel, et force est d’admettre que les calculs probabilistes livrent des résultats très incertains.